LES ENJEUX POLITIQUES DE LA LUTTE

CONTRE LE CYBERHARCÈLEMENT

Bien qu’Internet soit un espace formidable, où il est possible de s’instruire, d’échanger, d’informer, de s’organiser, de militer et de prendre conscience de son pouvoir d’agir, c’est aussi un espace ambivalent : les plateformes en ligne ne sont pas des espaces neutres, toutes les discriminations et les oppressions que l’on peut constater hors-ligne se reproduisent en ligne.

Le cyberharcèlement cible surtout les groupes minorés et les personnes marginalisées. Comme dans la vie dite « réelle », ce sont les personnes qui se trouvent à l’intersection de plusieurs oppressions qui sont le plus souvent visées par les violences en ligne.

Les réseaux sociaux ont été pensés et construits par personnes appartenant aux groupes dominants et jouissant de positions privilégiées au sein de la société : des hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels, diplômés et disposant d’importantes ressources financières. Ces réseaux ont donc tendance à privilégier les discours dominants et à étouffer les discours alternatifs, ainsi qu’à alimenter les stéréotypes et les discriminations déjà présentes dans la société comme les violences et les oppressions racistes, sexistes, LGBTQIphobes, validistes, grossophobes, etc.

Ce sont également des espaces investis très tôt par les militant·e·s d’extrême-droite qui ont instauré la violence et l’agressivité en faisant des codes normalisés du débat en ligne. Le cyberharcèlement est désormais devenu un mode d’action politique violent utilisé pour discréditer, intimider et museler des opposant·e·s politiques. L’enjeu étant de construire une vision tronquée et fallacieuse de l’état de l’opinion publique sur les réseaux sociaux afin que des prises de positions minoritaires et extrêmes apparaissent comme communes, majoritaires et sans contradicteurs ni contradictrices.

Le cyberharcèlement représente une menace pour nos droits et nos libertés en tant que personnes mais aussi en tant que militant·e·s associatifs et associatives.

En faisant taire, de manière souvent violente, les personnes ou les collectifs porteurs de revendications, il contribue au renforcement des discours dominants et menace ainsi notre droit à l’information, mais aussi la richesse du débat démocratique puisqu’il favorise l’autocensure d’un large pan de la population et appauvrit le débat public. Ainsi, se reproduisent au sein du cyberespace les discriminations constatées hors ligne. Les prises de parole des personnes opprimées sont invisibilisées et cela nuit à l’émergence de discours alternatifs (féministes, anti-racistes, écologistes, anti-capitalistes…). Par ailleurs, les logiques de profit des plateformes et des réseaux sociaux comme Facebook renforcent la visibilité du contenu haineux : la tendance au voyeurisme conduit à ce que les discours de haine génèrent plus de trafic et donc de revenus publicitaires, créant ainsi un cercle vicieux.

Les réponses apportées au cyberharcèlement ont également une portée politique :

La régulation du contenu sur Internet par les gouvernements et le secteur privé se fait souvent aux dépens de la protection de nos données personnelles et les systèmes de modération automatisés restreignent notre accès à l’information et notre liberté d’opinion.

Une idée revient souvent dans les discours : l’idée que l’anonymat créerait les conditions de possibilité des violences en ligne. Or, ce n’est pas le cas, l’impunité est telle que beaucoup d’auteurs et autrices de violences en ligne agissent à visage découvert. Par ailleurs, le terme « anonymat » est inexact, il faudrait plutôt parler de pseudonymat, puisque l’adresse IP permet la plupart du temps de retrouver l’identité des personnes utilisant des pseudonymes sur Internet. La « levée de l’anonymat » comme solution au cyberharcèlement menace d’autant plus la parole et la sécurité des groupes minorés et des victimes d’oppression, qui évoluent parfois dans des contextes culturels et politiques où l’anonymat est une condition sine qua non à l’expression de leurs revendications en ligne.